Michel Houellebecq

J’ai commencé à lire cet écrivain grâce au roman Extension du domaine de la lutte, de 1994. C’est un court roman que j’ai lu d’une traite, sans peut-être toute la patience et la finesse qu’il aurait fallu pour que je puisse y retirer une philosophie ou que j’en comprenne le sens subversif. Ceci dit,  sa plume acerbe et particulièrement les descriptions physiques et psychologiques des personnages de l’histoire, taillées au scalpel, m’ont beaucoup plu et stimulé mon imagination.

A cela s’ajoute le fait que je commençais à percevoir le style de Houellbecq, très particulier, un « non-style » neutre, objectif et parfois glacial qui évidemment n’empêche pas le discours de « glisser sur la pente du sentiment » selon le mot de l’auteur, ou encore d’instiller un humour corrosif et également une vision plutôt sceptique de la société moderne dans laquelle nous vivons.

A relire donc, avec une conscience neuve et un stylo à portée. Je vous le recommande cependant ! en guise d’initiation ou d’introduction, en particulier si vous souhaitez découvrir cet écrivain qui aujourd’hui connaît un fort succès…

Note subjective : 7/10

 

Dans l’engouement et le désir d’en prolonger l’expérience,  j’ai lu Plateforme (2001), un roman racontant le voyage d’occidentaux découvrant le tourisme sexuel en Thaïlande. J’ai trouvé ce groupe de touristes drôles et souvent écoeurants  dans la mesure où le narrateur, Michel, reste le seul à garder sa lucidité et son cynisme face au théâtre de cette sexualité libérale et sans morale. Toutefois, il ne fait preuve d’aucun évangélisme du fait qu’une fois en Europe, il monte un business mondain et lucratif en s’inspirant de celui qu’il a vécu au cours de ce voyage en Asie.

J’ai trouvé l’histoire un peu longue parfois, de surcroît lorsque des paragraphes entiers traitent de sujets économiques, mais je retiens le panel de personnages toujours aussi bien décrits (de manière différente pour chacun, selon l’humeur cyclothymique du narrateur ou auteur !) et l’écriture, toujours aussi froide et indifférente.

Note subjective : 6,5/10

 

J’ai alors continué dans la foulée et lu Les particules élémentaires (1998) qui ne m’a pas beaucoup marqué (souvenir effacé probablement par l’imposant La carte et le territoire…). En fait, je ne me souviens que des deux personnages, demi-frères, dont l’un, Michel, n’arrive plus à éprouver des sentiments, et l’autre Bruno est obsédé par le sexe; S’en suit un discours scientifique sur la sexualité par lequel Michel souhaite dissocier plaisir et reproduction, sujet que l’on retrouve fréquemment sous plusieurs angles dans l’oeuvre complète de l’auteur.

Bref, j’en retiens quelques passages pas forcément essentiels à l’histoire, comme la description d’un camping de beaufs ou les sentiments amoureux d’un scientifique analysant tout et crevant ainsi son propre élan et sa capacité à aimer… Enfin, je crois ne pas avoir accroché, en somme, au propos général qui est tenu dans ce livre sans pour autant déprécier le talent manifeste de Houellebecq quand il s’agit d’écrire autant que de décrire.

Note subjective : 6/10

 

Puis je n’ai pu échapper à La carte et le territoire, prix goncourt 2010, désormais un monument de la littérature contemporaine, faisant l’objet d’une large polémique, scindant en deux camps les critiques. Pour ma part, je me range sans hésitation du côté de ceux qui l’approuvent.

L’histoire raconte la vie de Jed, peintre et photographe désaxé, me rappelant un certain Meurauslt (L’Etranger de Camus) dans le comportement retiré et désenchanté. Michel Houellebecq s’est même introduit dans son roman en tant qu’adjuvant au personnage avec lequel il montre des affinités. C’est ainsi que j’ai pu réellement me rapprocher de l’auteur qui jusqu’ici me semblait éprouver dans ses écrits des émotions plates, quand elles n’avaient pas de liens directs avec le sexe. Or, le fait que son  propre personnage meurt dans des circonstances originales, le génie du récit qui nous embarque dans l’oeil acéré d’un jeune créatif arpentant le monde mondain des médias à l’enquête policière en passant par de multiples pensées sur la condition humaine, m’a subjugué, ému, passionné.

C’est donc sans conteste que je vous conseille ce livre paru depuis peu en édition de

poche.

Note subjective : 8/10

 

Pour clore l’aventure avec Houellebecq, je crois avoir bien fait de terminer avec La possibilité d’une île (2005), car sa complexité et son mélange des genres (romance, science fiction, polémique, poétique…) m’aurait peut-être laisser sceptique et clairement à côté de la plaque…

En ce sens, c’est un roman qui se veut répondre scientifiquement à la condition tragique de l’homme, éphémère et conscient de sa finitude. « Rejetant le paradigme incomplet de la forme, nous aspirons à rejoindre l’univers des potentialités innombrables ». Ainsi le narrateur est endoctriné par une sorte de secte et rejoint les adorateurs, attendant tous le résultat des travaux cellulaires qu’un d’eux est en train d’accomplir pour permettre l’immortalité.

« L’esprit humain se développait, expliqua-t-il, par création et renforcement chimique progressif de circuits neuronaux de longueur variable – pouvant aller de deux à cinquante neurones, voire plus. Un cerveau humain comportant plusieurs milliards de neurones, le nombre de combinaisons, et donc de circuits possibles, était inouï. Il dépassait largement, par exemple, le nombre de molécules dans l’univers. Le nombre de circuits utilisés était très variable d’un individu à l’autre, ce qui suffisait selon lui, à expliquer les innombrables gradations entre l’imbécillité et le génie. Chose encore plus remarquableun circuit neuronal fréquemment emprunté devenait, par suite d’accumulations ioniques, de plus en plus facile à emprunter – il y avait en somme auto-renforcement progressif, et cela valait pour tout, les idées, les addictions, les humeurs. »

N’ayant par vraiment de bases en biologie moléculaire mais sachant qu’aujourd’hui l’humain n’exploite pas encore tout à fait son cerveau ni ne sait l’expliquer réellement, cette thèse a fonctionné chez moi dans le cadre de l’histoire. Celle-ci est d’ailleurs subtilement ponctuée de prolepses, nous transportant dans un monde post-apocalyptique devenu sauvage et dans lequel l’esprit du personnage survit en changeant de corps et en écrivant son expérience…

Le passage où il rencontre la mer, terme de son voyage, est je trouve sublime :

« Après quelques minutes de marche j’arrivais en vue d’un lac largement plus grand que les autres, dont, pour la première fois, je ne parvenais pas à distinguer l’autre rive. Son eau, aussi,était légèrement plus salée. C’était donc cela que les hommes appelaient la mer, et qu’ils considéraient comme la grande consolatrice, comme la grande destructrice aussi, celle qui érode, qui met fin avec douceur. « 

Note subjective : 8,5/10

 

Ainsi se concluait mon propre voyage à travers l’oeuvre de cet auteur qu’on peut qualifier à juste titre de dépressif et pessimiste mais dont le travail immense apporte enfin une vision nouvelle de la société moderne. Houellebecq a également le mérite, outre son style dont j’ai déjà parlé, une volonté de décrire sans pudeur, sans jugements, l’humain sous toutes ses coutures, en parcourant à la fois la philosophie, la psychologie, la sociologie, la science, l’art et l’histoire à travers une littérature relevant autant de l’existencialisme d’un Camus que du romantisme d’un Baudelaire. Merci et bravo.

Quelques citations en bonus :

« Il a pourtant été maintes fois démontré que la douleur physique qui accompagnait l’existence des humains leur était consubstantielle, qu’elle était la conséquence directe d’une organisation inadéquate de leur système nerveux, de même que leur incapacité à établir des relations interindividuelles sur un autre mode que celui de l’affrontement résultait d’une insuffisance relative de leurs instincts sociaux par rapport à la complexité des sociétés que leurs moyens intellectuels leur permettaient de fonder. »    La Possibilité d’une île.
« Sur une carte au 1 / 200 000e, en particulier sur une carte Michelin, tout le monde a l’air heureux ; les choses se gâtent sur une carte à plus grande échelle : on commence à distinguer les résidences hôtelières, les infrastructures de loisirs. A l’échelle 1 on se retrouve dans le monde normal, ce qui n’a rien de réjouissant ; mais si l’on grandit encore on plonge dans le cauchemar : on commence à distinguer les acariens, les mycoses, les parasites qui rongent les chairs. »
La Possibilité d’une île.
« […]tant il est vrai qu’on doit rencontrer sa propre mort, la voir au moins une fois en face, que chacun d’entre nous, au fond de lui-même, le sait, et qu’il est tout à fait préférable que cette mort, plutôt que celui, habituel, de l’ennui et de l’usure, ait par extraordinaire le visage du plaisir. »    La Possibilité d’une île.

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